Acte IV. Scène V.
Leur regard parle. Sans s’affronter. Il parle de ce qu’ils ont vécu, et endure. Il parle de cette condition humaine qui fait d’eux aujourd’hui des privilégiés. Un homme et une femme libres sortis de l’enfer de Dante, sortis des décombres de la terre, presque faméliques, sortis du caveau, échappés de la mort qui pesait sur eux. Des ressuscités bien vivants.
Les rescapés de l’enfer.
Ils n’osent se prendre dans les bras tellement l’émotion les étreint.
‘...Otto... !’
Enfin, elle s’avance lentement vers lui.
Elle se colle à lui et caresse sa nuque.
Elle le serre dans ses bras.
‘...Non, David, Khana... !’ Lui dit t’il.
Khana lui prend avec une extrême douceur son visage entre ses mains et dans un geste infini de tendresse que seules les femmes savent le faire, elle porte ses lèvres sur ses joues. Sa barbe glisse sur les siennes. Leurs larmes ne font plus qu’un grand filet commun d’eau salée inondant les cheveux de l’une et la barbe de l’autre.
Les deux anciens compagnons de misère mais retrouvés sont réunis sous les regards des curieux qui assistent à une scène sortie d’un opéra tragique.
Durant tout le parcours qui les conduisait à son hôtel, David très volubile raconta tout le restant de sa vie. Il se converti au judaïsme vers l’âge de 20 ans avec la bénédiction d’un Rav libéral.
Il fit sa Mila et sa bar mistva en présence de ses amis de collège.
Khana l’écoutait avec béatitude, avec admiration, pendue à ses lèvres. Elle buvait toutes ses paroles qui dégoulinaient de sa voix tendre et suave comme une source limpide et intarissable. Ses mots résonnaient dans ses oreilles comme un carillon de fête à la sortie d’un office religieux.
‘...D’abord, tu m’a fais aimer Achem autrefois, dans ces jours d’obscurité. Ensuite, je n’ai plus cessé d’aimer et LUI et toi... ! Khana... !’
Elle prit tendrement ses mains qu’elle porta à ses lèvres en signe d’amour.
Khana Steinberg devint Madame Rosenberg dans le courant de l’année 1966.
Chanté par le chœur de la syna souleva pleurs et grandes émotions dans l’assistance et le grand RAV de Fribourg SHIMON ABRAHAM BAR SHAI COEN fit le discours le plus marquant de ses offices.
La cérémonie religieuse touchait à sa fin lorsque Khana sentit quelque chose qui chatouillait son mollet.
Elle se pencha et releva discrètement sa robe blanche et là, elle reconnu Cafard. Elle ne dit mot et maitrisant son émotion, elle prit la petite bestiole dans sa paume et avec grande retenue, elle cacha son second ancien compagnon de fortune dans son petit sac à main. Khana vivait deux joies intenses.
Khana décida de suivre son mari à Fribourg. Toujours active, elle aida son époux dans la mission qu’il s’était fixée, celle de traquer les derniers survivants criminels nazis à travers le monde.
Ils eurent 4 enfants, deux garçons et deux filles. Tous élevés dans l’amour de ACHEM et dans la plus pure tradition juive.
Son mari quelques années plus tard grâce à sa ténacité, à sa persévérance récupéra la presque totalité des tableaux de grands maitres de la famille Steinberg ainsi qu’une dizaine de tapisseries murales faites par des tisserands allemands datant des années 1680/1790, tous kidnappés par les officiers allemands et retrouvés dans diverses collections privées.
Là aussi Khana selon sa volonté décida de les mettre à la vente aux enchères.
Elle n’en garda que huit celui de ses parents et ceux de ces grands parents peints par des artistes de grandes renommées.
Le bénéfice de toutes ces ventes fut consacré à la reconstruction
de la grande synagogue de Berlin qui se trouvait à trois cent mètres de son ancien appartement et à l’ouverture d’un grand musée en lieu et place de son ancien immeuble. Son ancienne cave fut rénovée selon ses directives.
Elle avait apposé à l’entrée de son musée une plaque commémorative.
‘...Dans cette cave ont vécu Khana Steinberg et Otto Pimenger par la grâce de Achem... 1940/1944..!’
FIN.